Journée d'étude sur les cultures intermédiaires animée par Frédéric Thomas - jeudi 16 novembre 2006

Introduction

Agriculteur et rédacteur en chef de la revue TCS, Frédéric Thomas est une personnalité dont le nom revient fréquemment dans les conversations des agriculteurs pratiquant les techniques culturales sans labour.
 
Depuis une vingtaine d’année, il suit le développement des techniques culturales simplifiées, que ce soit sur sa propre exploitation du Loir et Cher ou lors de nombreux déplacements à l’étranger.

En septembre 2005, Frédéric Thomas avait déjà répondu positivement à une invitation dans le cadre du Projet Greenotec pour témoigner de son expérience. Son intervention était axée sur les trois piliers de l’Agriculture de Conservation : la réduction du travail du sol, les cultures intermédiaires et les rotations culturales (cliquer ici pour lire le compte-rendu). Au vu de l’intérêt suscité chez les participants, il fut décidé de reconduire cette collaboration en développant plus précisément le sujet des couverts végétaux.

Ainsi, ce ne sont pas moins de 160 personnes qui ont rallié le jeudi 16 novembre 2006 le CTA de Strée-lez-Huy pour assister à une journée d’étude consacrée spécialement aux mélanges de cultures intermédiaires en techniques culturales sans labour et organisée conjointement par le Centre des Technologies agronomiques de Strée (Projet CIALE), l’ASBL Faune & Biotopes et l’ASBL Greenotec.

Après un mot d’accueil de Mr C. Marche, Directeur du CTA, et une présentation des multiples activités de recherches agronomiques et d’enseignement qui s’y déroulent, la parole a été donnée à l’orateur, Frédéric Thomas.

Il est à noter que les propos tenus dans les lignes suivantes ne tiennent pas compte des dispositions réglementaires propres au programme agri-environnemental et au PGDA.

Les propos tenus n'engagent que leur auteur.

Intérêts des cultures intermédiaires...à découvrir ou à redécouvrir !

Recycler plutôt que piéger

Même si l’effet « pompe à azote » des cultures intermédiaires n’est plus à démontrer, le terme de « piège à nitrates » n’est peut-être pas le plus approprié… Dans le contexte actuel où l’on cherche à tout prix à s’affranchir de notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, ne serait-ce pas un progrès de parler de « recyclage d’azote » ?
On aurait tendance à oublier que l’azote, en plus de son rôle essentiel dans la croissance des cultures, constitue au même titre que le carbone un élément majeur de la matière organique de nos sols également en déclin (1 tonne d’humus contient entre 60 et 70 kg d’azote).
Parler de CIPAN répand également une idée réductrice du pouvoir de recyclage des cultures intermédiaires vis-à-vis de toute une série d’autres éléments comme la potasse, le phosphore, le calcium, le bore, le molybdène, etc. Dans un essai en Mayenne, un couvert de phacélie s’est avéré contenir jusqu’à 200 unités de potasse et 40 unités de phosphore. Le sarrasin quant à lui s’est montré particulièrement efficace pour mobiliser le phosphore du sol et le rendre ainsi disponible pour d’autres cultures.

Constituer un stock maximal de matières organiques

Le rôle essentiel de l’humus dans la structure, ou plutôt dans « l’architecture » d’un sol, incite également à se pencher sur les méthodes à déployer pour minimiser sa dégradation (réduire autant que possible le travail du sol) et accroître les stocks ; dans ce cadre, tenter de maximiser la biomasse des couverts végétaux (jusqu’à une dizaine de tonnes de matière sèche par hectare, tel est le concept du « Biomax ») constitue une pratique complémentaire à celle des amendements organiques pour injecter du carbone dans les sols.
Doper le taux d’humus du sol a également un impact direct sur l’alimentation hydrique des plantes. Bien que la fabrication d’une tonne de matière sèche de couvert nécessite entre 30 et 40 mm d’eau, il ne faut pas perdre de vue la relation exponentielle entre le taux de matière organique et la capacité de rétention en eau du sol.

Alimenter le volant d'auto-fertilité du sol

Recycler autant que possible les éléments minéraux et maximiser la production de biomasse doivent également s’envisager dans le but d’accroître ce que Frédéric Thomas appelle « le volant d’auto-fertilité du sol », en d’autres mots le niveau d’autonomie du sol dans la mise à disposition des éléments nutritifs essentiels pour la croissance des cultures.
Les cinq à dix premières années de pratique de TCS nécessitent généralement davantage d’apports azotés pour reconstituer un stock de matière organique dégradé par la répétition des labours antécédents (un labour équivaut à une relargage immédiat d’azote de l’ordre de 30 unités), mais une fois ce cap franchit, l’injection régulière de matières organiques facilement fermentescibles dans le sol permet des économies d’intrants durables.

Maximiser l'activité biologique du sol

Si la fertilité chimique des sols fait l’objet de toutes les attentions depuis des décennies, on ne peut pas en dire autant des deux autres composants de la fertilité globale des sols, en l’occurrence la fertilité physique et encore moins la fertilité biologique. A propos de celle-ci, on ne connaît que très imparfaitement le rôle essentiel joué par certains micro-organismes du sol dans l’alimentation des cultures.
Les mycorhizes pour ne citer qu’elles, en enrobant les racines de maïs d’un mycélium extrêmement dense, permettent à la plante de pousser beaucoup plus loin la colonisation du sol en lui mettant à disposition le phosphore quasi immobile dans le sol environnant. Les plantes constituant l’unique moyen d’injecter de l’énergie (issue de la photosynthèse) dans le sol, le recours aux couverts végétaux permet de maximiser ces apports pour alimenter l’activité biologique et ce, tout au long de l’année.

Protéger le sol et conserver la structure

Dans les écosystèmes forestiers, la surface du sol est protégée contre l’action dégradante des gouttes de pluie par une succession de protections que sont la canopée, le branchage et la litière. Les parties aériennes des couverts végétaux assurent un rôle similaire en agriculture.

Bien qu’il soit illusoire de croire que les racines des couverts peuvent exercer un rôle de « foreuse » vis-à-vis de structures de sols compactées, un chevelu racinaire dense aide cependant à conserver la porosité du sol, ce qui est particulièrement intéressant dans les sols pauvres en argile et en matières organiques qui ont une tendance naturelle à s’affaisser.

Les galeries ainsi créées sont également des voies privilégiées de descente des racines de la culture suivante vers les horizons profonds du sol.

Biodiversité

Les cultures intermédiaires constituent un levier puissant pour développer à moindre coût et sur de grandes surfaces la biodiversité dans les exploitations agricoles. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les couverts en fleurs à l’automne, particulièrement agréables à l’œil mais encore beaucoup plus intéressants pour une multitude d’insectes à l’approche de l’hiver, ou de parcourir certains couverts pour constater qu’ils constituent des abris et des provisions de choix pour bon nombre d’espèces d’oiseaux et de petits mammifères.

Et les limaces ?

Toute médaille a son revers, et les couverts végétaux constituent des gîtes de choix pour les limaces. Ce problème est cependant loin d’être insurmontable, et certaines pratiques réfléchies (déchaumage, choix d’espèces peu appétentes, aménagement du parcellaire comme les beetle- bank) combinées au retour d’auxiliaires naturels (carabes entre autres) permettent de s’affranchir du problème.
D’autres effets positifs des cultures intermédiaires, tel l’effet « vibroculteur » de la phacélie, l’effet allélopathique de la caméline dans la gestion des adventices et l’effet « pénétrographe » de la moutarde (lié à sa grande sensibilité vis-à-vis de la structure du sol) sont également à souligner.

Mélange des cultures intermédiaires

Chaque culture intermédiaire ayant des avantages et des inconvénients pouvant être très divers, pourquoi dès lors ne pas mélanger plusieurs espèces pour tenter de capitaliser les avantages tout en minimisant les inconvénients respectifs ? On pourrait ainsi réduire le risque d’une destruction trop précoce d’un couvert (par les limaces ou par le gel par exemple). Cela permettrait également de développer certaines synergies que seul un mélange autorise (association d’une graminée et d’une légumineuse entre autres).
Cette pratique de mélange est actuellement peu fréquente en Wallonie, mais des essais sont conduits depuis plusieurs années en France. Ils tendent à montrer que les meilleurs résultats sont obtenus quand le mélange associe quatre types de plantes :
  • les tuteurs pour structurer le mélange : moutarde, tournesol, féverolle, radis, etc ;
  • les boucheurs pour occuper l’espace aérien entre les tuteurs : avoine, phacélie, sarrasin, etc ;
  • les vrilles qui vont profiter des tuteurs pour s’élever verticalement : vesce, pois, etc ; 
  • les fonds de couches pour couvrir le sol : seigle, trèfle incarnat, d’Alexandrie ou de Perse etc.
Une plate-forme de démonstration d’une dizaine de mélanges de couverts avait été mise en place au Centre des Technologies agronomiques de Strée dans l’optique de la journée animée par Frédéric Thomas. Elle a fait l’objet d’une visite l’après-midi du 16 novembre.

Frédéric Thomas a pu illustrer sur le terrain ses propos de la matinée en analysant les profils de sols sous différents mélanges. L’accent a été mis tout particulièrement sur l’interaction entre les racines des cultures intermédiaires et le sol environnant (notamment ce qu’il appelle la « biofissuration », en l’occurrence la création de microfissures dues au retrait des argiles consécutif au pompage d’eau par les plantes), mais il n’a pas manqué d’éclairer les participants quant à ses critères d’intervention en matière d’ameublissement du sol profond (son objectif final étant de créer une structure en « blocs autobloquants », alternant des zones grumeleuses et des zones plus compactes pour conserver la portance du sol).

Le relais a été ensuite pris par Marc De Toffoli (CTA, Projet CIALE) et Eddy Montignies (ASBL Faune & Biotopes) pour faire part de leurs avis respectifs vis-à-vis des mélanges testés. Le premier s’est principalement penché sur les aspects agronomiques des mélanges. Il a mis en exergue l’intérêt des couverts à développement rapide après la moisson (comme peut l’être un mélange de moutarde et de phacélie) pour recycler un maximum d’azote, limiter le développement des adventices et protéger le sol contre l’érosion. Il a également insisté sur la facilité de destruction des couverts et notamment sur la nécessité d’une destruction précoce des couverts si la culture suivante est conduite en techniques culturales sans labour (les mélanges à base de tournesol, de sarrasin et de nyger sont particulièrement sensibles au gel).

Eddy Montignies a quant à lui livré ses conseils quant aux qualités faunistiques des mélanges. L’idéal, selon lui, est de pouvoir développer un couvert clair, étagé et peu humide, avec des espèces hautes appréciées des faisans et de certains passereaux notamment, et avec des espèces basses dans lesquelles se complaisent les lièvres et perdrix. Dans cet objectif, un couvert associant du tournesol, de la phacélie, du sarrasin et de la vesce se montre particulièrement intéressant.

Le protocole expérimental de l'essai de même que des photos des mélanges des cultures intermédiaires à plusieusr dates peuvent être consultées en cliquant sur ce lien.  

Propos synthétisés par S. Weykmans (ASBL Greenotec) en collaboration avec M. De Toffoli (CTA Projet CIALE) et E. Montignies (ASBL Faune & Biotopes).