Décompacter après le semis de la culture intermédiaire

Introduction

Inverser ses opérations de décompactage et de semis du couvert : l’idée pourrait paraître saugrenue de prime abord mais il semblerait qu’elle ait fait des adeptes de manière régulière ou opportune chez plusieurs agriculteurs de Wallonie majoritairement localisés en Hesbaye et en Brabant wallon. Une bonne vingtaine d’entre eux a accepté de nous accorder quelques minutes pour répondre à une petite enquête sur les tenants et aboutissants de la technique. Il est à préciser que cet article se focalise sur les opérations de travail du sol en post-semis voire en post-levée du couvert, mais ne concerne pas les opérations qui sont réalisées dans des couverts morts comme les décompactages de printemps avant semis d’une betterave sucrière.

Les raisons invoquées

Les raisons invoquées

« La dernière machine que doit voir la parcelle avant le printemps, c’est le décompacteur ». C’est la raison la plus fréquemment avancée par les adeptes de l’inversion des opérations de décompactage et de semis, dans des contextes de ferme qui sont pourtant parfois très différents.
Quand le couvert est semé avec un combiné herse rotative - semoir, il en est ainsi dans certaines exploitations où la puissance de traction limitée ne permet pas d’intercaler une poutre entre le tracteur et la rotative, obligeant dès lors le découplage des opérations de décompactage et de semis de la culture intermédiaire. Si l’agriculteur souhaite comme beaucoup de ses pairs éviter de rouler sur un sol travaillé en profondeur, le décompactage en post-semis s’avère incontournable. Assez logiquement, il en est de même si le décompacteur et la rotative ne peuvent être couplés pour une question d’encombrement (décompacteur bipoutre par exemple). Certains qui utilisent une herse rotative pour semer les couverts préfèrent également décompacter après même s’ils pourraient le faire en un passage, et ce, pour obtenir une structure quelque peu motteuse à la surface : elle est le gage d’un hivernage correct, d’un minimum de glaçage au cours de l’hiver et d’un ressuyage accéléré au printemps (à éviter cependant par vent du Nord pour ne pas assécher excessivement le lit de semences).
Quand la rotative est bannie pour l’implantation des couverts (car coût élevé et ressuyage plus lent au printemps comme préalablement mentionné), l’agriculteur peut opter pour une implantation à la volée avec semoir électrique sur un quad ou directement monté sur le décompacteur. Même si la technique s’avère très économique, elle ne peut s’envisager avec succès dans la majorité des cas qu’avec de la moutarde blanche. Si l’agriculteur souhaite diversifier ses couverts sans ressortir la rotative, il devra recourir à une autre technique de semis : ceux qui se tournent vers l’avoine de printemps utilisent couramment un épandeur centrifuge à engrais (le semoir électrique n’est pratiquement pas envisageable pour une question de volume de trémie), d’autres qui choisissent des espèces plus délicates (comme la phacélie dont les semences doivent obligatoirement être à l’obscurité pour germer) devront mettre en œuvre un semoir avec une très bonne mise en terre (type semoir rapide à disques par exemple). Dans les deux cas, si l’agriculteur souhaite aussi ne plus rouler sur un sol travaillé en profondeur, le décompactage après le semis est obligatoire.

« Utiliser le rouleau du décompacteur comme rouleau plombeur ». Dans les cas précités, et encore plus particulièrement quand les semences du couvert ne sont pas plombées (semis avec un semoir à socs ou semis à l’épandeur centrifuge), le rouleau équipant fréquemment le décompacteur permet de plomber les semences du couvert et de restaurer la capillarité du sol. Dans un essai à Strée-lez-Huy (commune de Modave) en 2008, une parcelle expérimentale d’avoine de printemps avait été décompactée juste après le semis le 9 septembre (partie gauche de la photo présentée ci-contre, prise le 05/11/2008 - cliquer dessus pour l’agrandir) en parallèle à une parcelle qui ne l’avait pas été (partie droite de la photo), toutes autres choses étant égales par ailleurs. La levée et le développement ont été nettement meilleurs pour le décompactage post-semis. En années sèches, le constat est encore plus frappant.

« Semer le couvert à la date optimale (ou réglementaire…) mais décompacter le sol à l’humidité optimale (ou la meilleure possible …) ». C’est la troisième raison invoquée par quelques uns et qui revêt un intérêt toute particulier lorsque l’on connaît des conditions très humides après la moisson. Le cas échéant, les travaux de décompactage des parcelles qui le nécessitent sont postposés à une date ultérieure au semis du couvert dans l’espoir que les conditions d’humidité du sol redeviennent propices à leur restructuration. Comme discuté plus bas, la technique nécessite du matériel adapté, une sérieuse expérience et un brin de chance sous peine de détruire irrémédiablement le couvert, ce qui n’est ni l’objectif visé, ni légalement permis ! L’agronomiquement idéal n’étant pas toujours non plus « l’organisationnellement » possible, la pertinence de cette postposition doit aussi se raisonner au cas pas cas en fonction des structures d’exploitations, de nombreuses opérations d’arrière-saison (arrachages, semis des céréales d’hiver, …) exigeant elles aussi des humidités de sol adéquates.

« Maintenir les sols aux structures fragiles par un réseau racinaire déjà développé au moment du décompactage ». C’est la dernière raison dont on nous a fait fart. Vu les limites de la technique visant à décompacter dans le couvert vivant (voir plus bas) et notamment celles relatives à la taille maximale des végétaux, cet objectif certes louable relève vraisemblablement d’une utopie dans les conditions pédoclimatiques wallonnes.

Les éléments clés de la réussite

Par réussite, il est entendu le maintien aussi intact que possible du couvert végétal après la réalisation du décompactage, que celui-ci intervienne juste après le semis (grande majorité des expériences qui nous ont été communiquées) ou lorsque le couvert est déjà levé. La réussite du décompactage sensu stricto, en l’occurrence l’obtention d’une structure de sol optimale, sort du cadre de cet article et n’est donc pas traité.

Matériel de décompactage

Le décompacteur utilisé ne doit provoquer qu’un faible foisonnement de la terre sous peine d’enfouir trop profondément les semences du couvert (cas d’un décompactage post-semis) voire de détruire de nombreuses plantules (cas d’un décompactage post-levée).

Parmi les trois grands types de dents équipant les décompacteurs actuels, les dents Michel (nombreux constructeurs) et les pointes à lame décalée (type Agrisem) semblent respecter cette exigence. Pour les outils équipés de dents à ailettes, tout dépend du nombre de dents, de leur disposition, de la largeur des ailettes et de leur inclinaison : la technique ne peut réussir que si les horizons du sol sont conservés globalement dans leur position originale.

Ceux qui recherchent une structure un peu plus motteuse en surface attellent parfois au décompacteur un outil de type chisel travaillant sur 5 cm, ce qui offre en outre l’avantage de recouvrir les semences si le semis a été réalisé à la volée.

Matériel de traction

En post-germination du couvert, les exigences quant au matériel de décompactage se doublent d’un impératif pour le matériel de traction : l’absence de patinage. Le tracteur doit par conséquent être suffisamment lourd par rapport au décompacteur attelé, être équipé de pneumatiques adéquats (pneus suffisamment larges) et ne pas rouler excessivement vite. Nous l’avons testé à nos dépens dans notre plate-forme à Strée-lez-Huy en 2008 (voir plus haut) où un troisième itinéraire technique consistait en un décompactage du couvert d’avoine au début du mois d’octobre dans d’excellentes conditions de sol. Le patinage, même faible, a provoqué le cisaillement des plantules et leur disparisation complète au niveau des traces des pneus du tracteur (voir photo ci-contre prise la 13/10/2008 - cliquer dessus pour l’agrandir).

Espèces et stades de croissance

D’après les expériences qui nous ont été communiquées, les trois espèces les plus communément rencontrées que sont la moutarde blanche, la phacélie et l’avoine de printemps, conviennent indifféremment l’une de l’autre au décompactage dans la foulée du semis ou maximum deux jours après (en tout état de cause avant la germination). On nous a fait part également d’expériences réussies avec la féverole et la vesce.
En post-germination voire en post-levée, il semblerait que l’avoine convienne mieux que la moutarde et que la phacélie. Le décompactage pourrait s’envisager sans trop de dégâts jusqu’au tallage, pour autant que les conditions précitées quant au matériel utilisé soient respectées. Pour la moutarde, plusieurs expériences parfois involontaires de décompactage au stade germination ou au stade « cotylédons » ne se sont pas soldées par un échec comme on aurait pu le craindre et les jeunes plantules couchées par les pneus semblent avoir bien repris. Deux personnes l’ont même essayé avec succès jusqu’au stade « 5 cm » qui semblerait la taille critique au-delà de laquelle la plantule casserait entraînant irrémédiablement sa disparition. La phacélie semblerait se comporter comme la moutarde.

Comportement du couvert au niveau de l'étançon ?

Pour autant que les conditions précitées aient été respectées, on peut raisonnablement se poser la question de la levée et du développement des couverts au niveau du passage de l’étançon du décompacteur quand le décompactage est réalisé dans la foulée du semis.

Parmi tous les agriculteurs interrogés, peu ont rencontré de gros soucis de levée (perte importante de pieds ou retard de croissance) qui pourraient être imputés à une descente des semences dans les fissures créées par l’outil. S’il est vrai que la ligne de l’étançon se voit fréquemment au début du développement de la culture intermédiaire, elle est rapidement recouverte par les plantes de bordures et finit pas ne plus se voir en cours de croissance. En cas de doute, rien n’empêche non plus d’augmenter la densité de semis de 10 à 15 %.
 

A contrario, en années sèches, la remontée de terre humide le long des étançons permet à la culture intermédiaire de démarrer plus rapidement au niveau de la ligne.

Conclusions

Au vu des résultats positifs obtenus par plusieurs agriculteurs et pour certains depuis de nombreuses années, il apparaît que le décompactage juste après le semis de la culture intermédiaire peut constituer une solution intéressante sans grand risque pour autant que quelques conditions soient respectées (dont l’emploi d’un décompacteur à faible foisonnement).
Pour ce qui est du décompactage dans un couvert vivant, même si quelques expériences se sont soldées par une réussite et mériteraient de s’y intéresser à l’avenir, il faut garder à l’esprit que la technique est complexe et périlleuse dans les conditions pédoclimatiques wallonnes. Même si elle apparaît pour certains comme l’unique exutoire en cas de moissons destructrice et d’impossibilité de décompactage avant la date réglementaire d’implantation des couverts, sa mise en œuvre doit être réfléchie en regard du risque de destruction du couvert qui contreviendrait le cas échéant aux législations PDGA et MAE.
Article rédigé le 30/08/2010 par S. Weykmans (ASBL Greenotec) avec l’aimable collaboration de nombreux membres et partenaires de l’association qu’il serait difficile de nommer in extenso.

 


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