Hervé et Mathieu Deschamps - Brugelette

Mathieu deschampsLa Ferme de la Croix Saint-Ghislain

Elevage Ile de France Deschamps

Brugelette, Hainaut

Grandes cultures et élevage ovin – 160ha

Assolement : betterave, froment, pomme-de-terre, maïs grain, carotte, panais, haricot, pois, prairie permanente

Pâturage des couverts d’interculture par les moutons

Le mot d’Hervé : " J’ai repris la ferme de mon père en 92 avec ma femme Karolien. Mon fils Mathieu nous a rejoints en 2018 comme aidant, il sera la 5ème génération sur la ferme, depuis sa création en 1884 ! À ma reprise, le matériel était usé et je constatais des problèmes d’érosion avec des fossés qui se créaient au milieu des champs. Je suis donc passé en non-labour dès mon installation (sauf en carotte et panais).

Parcelle DeschampsEt puis j’ai très vite constaté que cela me faisait gagner du temps ! Le premier matériel dans lequel nous avons investi est un décompacteur à pattes d’oie.  Mais après avoir constaté une semelle en-dessous des dents, nous avons enlevé les ailettes. Lors de la transition, nous n’avons pas observé de chute de rendements. Je sème un couvert dès que le sol est nu et j’apporte de la matière organique (lisier, boues d’épuration…) régulièrement. En 2008, nous avons arrêté les travaux à plus de 15cm de profondeur et nous avons acheté un nouveau semoir (Vâderstad Rapid).

Sur une parcelle en 2019, nous avons toutefois été obligés de labourer après un arrachage de pommes-de-terre en conditions humides. Cette année, j’ai été poussé par Mathieu à semer directement après l’arracheuse, ce qui nous a permis d’éviter un labour. Les prochains défis seront d’essayer de ne pas labourer en légume. Mon fils me pousse à mettre des prairies pour ses moutons mais j’ai du mal à convertir des terres à bon potentiel agronomique en prairies…

Je ne sais pas si nos pratiques améliorent la qualité nutritive des produits, mais ce qui est sûr, c’est qu’au niveau environnemental on fait quelque chose de mieux. Ce serait bien que le consommateur le sache ! Un label serait peut-être bienvenu… mais ça reste quelque-chose de compliqué. "

QuadLe mot de Mathieu : " En 2010, j’avais un bélier et une brebis. Puis j’ai augmenté petit à petit jusqu’à atteindre 170 brebis en 2021 et j’aimerais atteindre 200 brebis l’année prochaine. Je suis allé en stage chez Antoine Cuypers, en France, qui tient une ferme en grandes cultures en semis direct et mène plusieurs essais avec ses 800 brebis. À mon retour, j’ai investi dans un système de clôtures à l’aide d’un quad et j’ai ainsi considérablement réduit mon temps de travail : je clôture à présent 8ha seul en 1h, alors qu’avant, il fallait s’y mettre à 4 en 4 fois plus de temps.

Pour réduire encore mes coûts de production, je me suis mis à pâturer nos couverts d’interculture, en 2015. Je diminue ainsi mes besoins en prairies et cela me permet de ne pas nourrir mes moutons durant l’hiver. En outre, je commence à aller faire pâturer les couverts des agriculteurs voisins (Retrouvez l’interview de Johan Baland ici).

C’est en agrandissant le troupeau que j’ai pu assurer la livraison directe à plusieurs boucheries. Mon produit est donc mieux valorisé, cela demande du temps et de l’énergie mais ça devient viable. La demande augmente avec le bouche-à-oreille et suite au Brexit ayant augmenté les taxes d’importation venant du Royaume-Uni. De plus, je trouve la vente directe aux bouchers plus valorisante et j’ai un retour sur ce que je produis, pour m’améliorer. "


 

Après avoir essayé quelques races, Mathieu s’est tourné vers la race française Ile de France. Cette dernière lui permet d’étaler les agnelages et proposer de la viande toute l’année à ses bouchers. De plus, les agneaux qui pâturent les couverts d’interculture ont 10 jours de retard de croissance comparé à ceux en bâtiment, ce qui offre encore de la flexibilité dans l’approvisionnement. Pour l’instant, Mathieu réinvestit l’entièreté de ses bénéfices dans son élevage.

La coopération s’installe, Mathieu pâture même les couverts de quelques fermes voisines dans un système « gagnant-gagnant » : les moutons mangent le couvert et les repousses de la culture précédente tout en fertilisant le champ. Cela permet à Mathieu de nourrir ses moutons en période de sécheresse et en fin de saison, quand la pousse de l’herbe n’est plus optimale. Les couverts pâturés sont habituellement constitués de phacélie, de chou fourrager et de trèfle. Mathieu et Hervé veillent à introduire des espèces non gélives (comme le chou fourrager, qui a une bonne valeur nutritive) dans le mélange afin de procurer de la nourriture le plus longtemps possible aux bêtes. Une telle collaboration entre éleveurs ovins et cultivateurs a de beaux jours devant elle, au vu des grandes superficies de couverts disponibles par rapport au faible nombre d’ovins en Wallonie.

PatouLe pâturage des couverts ne comporte pas que des avantages. À ses débuts, Mathieu a été confronté à une importante mortalité d’agneaux à cause des renards. Il a donc acheté un Patou, un chien de montagne de défense des troupeaux. Mathieu observe aussi un souci inattendu : les reproches des promeneurs craignant pour le confort des moutons en hiver, en l’absence d’abri dans les parcelles. Un tassement superficiel du sol (quoique moins marqué en système SD) peut aussi être provoqué par le piétinement des moutons, mais qui aura tendance à disparaître rapidement grâce à la vie du sol. Enfin, dans ce système, Mathieu note un problème au niveau des déclarations PAC. Lorsque sont comptés les prairies et les moutons, une énorme charge ovine à l’hectare est observée, considérant donc le système comme très intensif. Mathieu pourrait alors perdre une aide qui correspondrait à environ 25% de son bénéfice. Il aimerait donc pouvoir considérer ses pâtures en fonction de la durée pendant laquelle les moutons y passent réellement, et tenir ainsi compte de la pâture des couverts.

Mathieu est un véritable passionné de moutons. En quête permanente d’amélioration, il a testé le pâturage tournant dynamique. Après avoir observé une augmentation de production de 30% et une vie du sol plus active, il renouvellera l’expérience.

MoutonsL’élevage de moutons est exclusivement dirigé par Mathieu mais vient en complément du système grandes cultures que dirige son père Hervé. C’est un très bon exemple de complémentarité « culture-élevage ».

Hervé et Mathieu respectent les fondamentaux de l’agriculture de conservation des sols : ils couvrent leur sol le plus longtemps possible, ils le travaillent le moins possible et ils ont une rotation diversifiée. La présence de l’élevage ovin sur l’exploitation est un réel atout pour la durabilité de leur système.

Bien que certaines cultures semblent moins se prêter au système sans labour que d’autres (légumes et pomme-de-terre dans ce cas-ci), des expérimentations sont effectuées chaque année sur l’exploitation pour diminuer le travail du sol. C’est dans ce cadre qu’un essai sera suivi par Greenotec cette année en betteraves. Affaire à suivre !