Un semoir de semis direct en Haute Ardenne ? On n’y croyait pas non plus !

1. Introduction

Le semoir a la couleur d’un canif suisse et ses utilisateurs n’ont rien à envier à l’inventivité du célèbre Mac Gyver de la série télévisée éponyme qui a égayé les mercredis après-midi des plus jeunes d’entre nous…
 
Tout a commencé au détour d’un stand lors du dernier SIMA à Paris (Salon international de la Machine agricole) quand un agent commercial d’une firme allemande de matériel de non-labour nous a fait part de la récente acquisition par un jeune entrepreneur luxembourgeois d’un semoir de semis direct destiné à être utilisé sur un territoire situé à cheval sur le Grand-Duché, l’Allemagne et les Cantons de l’Est en Belgique.

Après un court moment d’étonnement tant cette information nous paraissait insensée, les affirmations répétées de notre interlocuteur nous ont conduits à prendre note des coordonnées de l’entrepreneur propriétaire (Jean-Jacques Ludovicy) et à lui rendre visite une première fois au mois de mars 2009. La rencontre a été programmée chez un collègue (Marcel Goffinet) situé à Saint-Vith. Au bout d’une petite route asphaltée serpentant à travers les pessières est apparu le semoir en question : une rencontre surprenante tant on avait du mal à imaginer cette machine en Haute Ardenne.

2. L’équipement du semoir

Le semoir (photo de droite, Ludovicy J.-J. - 2009) présente dans sa partie médiane une double rangée d’outils à disques (disques bombés crénelés et bêches roulantes) et dans sa partie postérieure un rouleau à pneus et une rangée de dents de herse étrille.

L’équipement le plus original réside certainement dans une double rampe de semis connectée à deux trémies aux volumes sensiblement identiques, les deux rampes pouvant être réglées indépendamment pour déposer à des profondeurs distinctes et à des densités différentes plusieurs produits (semences, engrais solides, etc.). Sur la première rangée, les éléments semeurs sont espacés de 30 cm. Ils sont espacés de 15 cm sur la seconde.

3. Les emplois du semoir

3.1 Entretien de prairies

L’entretien des prairies est une des fonctions du semoir. Les deux trains d’outils à disques et la rangée de dents de herse étrille sont réglés pour étaler les taupinières et griffer superficiellement le gazon dans l’optique de l’aérer. La première rangée de disques semeurs permet de fertiliser la prairie en injectant de l’engrais solide. La seconde rangée permet de procéder au besoin à un sursemis de semences (au choix des agriculteurs) qui sont rappuyées intensément par les roues plombeuses.

L’acquisition du semoir a également été raisonnée afin de pouvoir procéder à des fertilisations selon la méthode CULTAN (Controlled Uptake Long Term Ammonium Nutrition), une technique de fumure développée en Allemagne et visant à fertiliser les plantes par injection d’ammonium liquide au niveau des racines. Aux dires de nos interlocuteurs, ce mode de fertilisation présenterait en prairies l’avantage d’une mise à disposition régulière d’azote assimilable par le ray-grass (par une nitrification échelonnée) sans que les racines du trèfle ne « baignent » littéralement dans une solution du sol excessivement riche en nitrates potentiellement toxiques et en tous cas préjudiciables à la fixation naturelle d’azote atmosphérique par la légumineuse. Dans le cas présent, l’ammonium n’est pas apporté sous forme liquide mais sous forme de granulés constitués à partir de résidus organiques, aisément manipulables et ne devant pas être injectés à l’aide d’aiguilles peu adaptées aux sols caillouteux.

Nous n’avons cependant pu trouver que de trop peu informations pour nous permettre d’étayer la pertinence de la technique et des objectifs escomptés.

3.2 Semis de prairies

Le semoir se montre aussi particulièrement bien adapté pour semer du ray-grass seul ou en mélange. La possibilité de régler séparément les densités et profondeurs de semis autorise l’association d’espèces aux semences très différentes comme le montre la photo de gauche (Ludovicy J.-J., 2009) : le ray-grass a été semé superficiellement à 35 kg/ha et le pois protéagineux à une densité de 120 kg/ha à une profondeur comprise entre 3 et 4 cm.

La double cuve permet également d’optimiser la technique de semis de ray-grass sous protection d’une céréale, ce qui intéresse tout particulièrement les deux collègues qui préfèrent les implantations de printemps à celles d’automne. Cette technique connue depuis longue date dans les régions froides consiste à implanter en même temps que le ray-grass une seconde espèce (avoine ou orge de printemps) à la levée plus rapide pour protéger la graminée de la bise (vent froid et sec) et limiter le développement des adventices.

La maîtrise de cette technique par l’entrepreneur et son collègue les a conduits à la mettre aussi en application pour la multiplication de semences de ray-grass. Celui-ci est semé à 20 kg/ha avec un interrang de 15 cm. Tous les 30 cm, de l’avoine ou de l’orge est semée lors du même passage à 100 kg/ha. Le mélange est ensilé trois fois la première année ce qui suffit largement pour éliminer progressivement les repousses de la céréale après qu’elle ait joué son rôle d’écran protecteur. La seconde année, le ray-grass est ensilé une quatrième fois au printemps puis laissé monter à graines afin d’être moissonné (photo en haut à droite : ray-grass de multiplication semé initialement sous protection d'une avoine de printemps ; elle a été prise entre la 3ème et la 4ème coupe le 08/05/2009 par l'ASBL Greenotec).

3.3 Semis de céréales et de cultures intermédiaires

L’utilisation la plus importante du semoir est le semis de céréales de printemps (avoine, orge), de céréales d’hiver (épeautre notamment) et de cultures intermédiaires après la moisson. Le semis de ces dernières (généralement de la moutarde blanche ou des associations avoine-vesce) se révèle être une véritable course contre la montre pour que les CIPAN puissent jouer leur rôle de piège à nitrates (il est fréquent que les céréales soient moissonnées fin août ou même début septembre). D’où l’intérêt d’un semoir rapide qui en plus est équipé d’un double train d’outils à disques utilisé comme déchaumeur !

La réflexion sur les cultures intermédiaires a été encore poussée plus loin : pourquoi ne pas profiter du semis de la céréale de printemps pour semer en même temps… la culture intermédiaire ! Le choix des agriculteurs s’est tourné vers une association d’orge de printemps (culture principale à 200 kg/ha) et de fétuque des prés (culture intermédiaire à 8 kg/ha). Celle-ci a été choisie pour son port végétatif relativement limité. Les deux espèces ont été semées au mois d’avril 2008. Elles ont levé ensemble mais l’orge de printemps a rapidement pris le dessus sur la fétuque des prés qui est restée tapie en fond de végétation. Visuellement, son développement limité ne semble avoir joué aucune concurrence vis-à-vis de la céréale. Le désherbage s’est avéré cependant nettement plus compliqué.

L’orge a été moissonnée durant la troisième semaine du mois d’août. Dès la mise à la lumière, la fétuque s’est rapidement développée et a assuré le rôle de piège à nitrates de post-moisson. Si ne s’étaient posés des soucis de désherbage liés à une gestion historiquement peu rigoureuse, ils auraient été jusqu’à ensiler au printemps la fétuque voire à la laisser par la suite monter à graines pour produire des semences. Qu’à cela ne tienne, l’essai sera répété pour tendre vers cet objectif « 3 en 1 » : un semis pour trois récoltes !

3.4 Semis de maïs

Le maïs ensilage est également implanté avec le même semoir à un interrang de 15 cm généralement sous un couvert hivernal implanté derrière une céréale à paille (les essais d’implantation directement après une prairie permanente se sont soldés par des échecs et les tests en monoculture de maïs ont été peu probants par rapport à des situations où le maïs succédait à une céréale, d’où l’intérêt des rotations). Une reprise du sol sur 15 à 18 cm est réalisée au printemps avec un chisel avant le semis, la faible profondeur du sol de la région n’autorisant de toute façon pas des interventions plus profondes. Un engrais azoté et phosphoré est injecté sous forme de granulés dans le sol par la première rangée de disques tous les 30 cm.

Il faut toutefois faire remarquer que les implantations de maïs ensilage, même de variétés ultra précoces, donnent à trop haute altitude (au dessus de 500 mètres pour les uns, de 400 mètres pour les autres, la question apparaissant hautement polémique…) des résultats plus qu’aléatoires et que le non-labour, caractérisé par un réchauffement du sol plus lent au printemps, peut constituer un handicap supplémentaire.

4. Des regrets ?

Un des seuls regrets dont nous ont fait part les deux collègues est l’inadéquation de la largeur du premier semoir qu’ils ont utilisé (trois mètres) par rapport à la surface réduite des parcelles de la région et la multiplicité de leurs recoins. Sur cette réflexion qui de prime abord apparaît paradoxale, ils s’en expliquent aisément : le gain de temps de chantier permis par la rapidité du semoir (des vitesses de 15 à 20 km/h sont fréquentes) est amenuisé par les manœuvres en bout de ligne. L’avantage d’un semoir de six mètres est de pouvoir faire le demi-tour sans aucune marche arrière en fourrière et de reprendre directement sa ligne. Cette réflexion s’est concrétisée au début du printemps 2009 par le remplacement de ce semoir de trois mètres par un de six mètres et aux dires de nos interlocuteurs, cette décision s’est avérée pertinente !

La réduction des manœuvres en bout de ligne est également motivée par un souci du respect de la structure du sol crucial en TCS. Cette volonté s’est également concrétisée par l’équipement du tracteur d’un système de télégonflage autorisant des interventions à 0,8 bar sur les parcelles (1,5 bars sur route).

5. Perspectives

Même si le non-labour est actuellement peu répandu au Grand-Duché de Luxembourg, il y fort à parier que son développement pourrait être exponentiel au cours des prochaines années. Parmi toute une série de raisons, on peut notamment citer la volonté du gouvernement de lutter contre l’érosion hydrique des sols qui s’est traduite par l’octroi aux agriculteurs d’une prime de 50 € par hectare de culture de printemps implantée en TCS. On peut également relever que la réduction des temps de chantier pour l’implantation des cultures permet une réduction des charges de mécanisation et donc des montants facturés.

Enfin, et indépendamment de toute considération régionale, la présence d’une deuxième trémie sur le semoir laisse rêver que dans un avenir proche des semoirs à trois ou quatre cuves et autant de rampes de semis puissent un jour sortir d’un atelier, multipliant presque indéfiniment les possibilités d’association de plantes et de modes de fertilisation. Une idée dont ces jeunes utilisateurs ont fait part au constructeur et qui ne semble pas être tombée dans l’oreille d’un sourd…

6. Conclusion

Encore plus que les spécificités du semoir et en dehors de toute considération commerciale, c’est l’imagination débordante de ses utilisateurs qui nous a particulièrement séduit, renforçant par la même occasion l’idée que l’expérience de nos « voisins de l’Est » en matière de TCS constitue une formidable source d’inspiration qui ne demande qu’à être exploitée.

Quoiqu’il en soit, nous ne manquerons pas de vous tenir au courant de la suite de ces initiatives !


Article rédigé le 07/06/2009 par S. Weykmans (ASBL Greenotec) avec les aimables éclaircissements de P. Luxen (Agra-Ost ASBL) et J.-M. Parmentier (Rosier SA).

Contacts:

Jean-Jacques Ludovicy

Rue du Barrage, 17 L-9633 Baschleiden Luxembourg  

GSM : 00352.69.15.31.050
Fax : 00352.99.32.72
Email : ludojj@yahoo.de 

Marcel Goffinet

Breitfeld, 44 B-4780 Sankt-Vith Belgique                   

GSM : 0472.64.43.57
Email : marcel.goffinet@skynet.be

 

 

 

Sources bibliographiques francophones sur la méthode CULTAN :
http://www.fat.admin.ch/pdf/ART_Bericht_657_F_i.pdf http://www.bulletins-electroniques.com/vigies/viewtopic.php?id=3454
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