Pour cette 3ème édition du festival de l’agriculture de conservation et de l’agroécologie (FA²C), Greenotec accueillait le professeur français Marc-André Selosse.
Pas prescripteur technique, mais excellent vulgarisateur
« Je ne suis pas agriculteur, je suis juste un chercheur qui travaille sur le vivant, la plante et les micro-organismes » annonce d’entrée de jeu le conférencier. « Je souhaite partager ma vision du sol et analyser les gestes agricoles au regard de ce que nous connaissons maintenant sur ceux-ci ».
Marc-André Selosse est clairement un bon vulgarisateur. La conférence d’une heure, suivie d’une heure de questions/réponses est passée comme une flèche. Biologiste et mycologue au Museum d’histoire naturelle de Paris, professeur, il est également l’auteur de plusieurs livres de vulgarisation et était chroniqueur sur France Inter en 2020 et 2021.
Ses livres sont destinés à un large public, mais il faut quand même avoir la fibre scientifique et la curiosité de comprendre le vivant pour en commencer la lecture. Les principaux sont les suivants.
• La Symbiose : structures et fonctions, rôle écologique et évolutif.
• Jamais seul : ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations.
• Les goûts et les couleurs du monde : une histoire naturelle des tannins, de l’écologie à la santé.
Et le dernier en date qui reprend en quelques centaines de pages agréables à lire les cours de pédologie et de physiologie végétale du cursus d’agronomie :
• L’origine du monde : une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent.
La marque de fabrique de l’auteur : nous relier à ce que tout un chacun peut observer au détour d’un champ, d’une promenade à la campagne voire même d’un plat cuisiné.
Un écosystème invisible
Marc-André-Selosse poursuit son plaidoyer : « L’écosystème terrestre est avant tout dans nos sols. Ce qu’il s’y passe est vivant ! » La plupart de ce qui est vivant dans le sol ne se voit pas à l’œil nu : on nomme cela les microbes. En termes plus scientifiques il s’agit de champignons, de bactéries et d’amibes. Puis arrive la partie animale : collemboles, nématodes, acariens, vers, pseudo-scorpions, … Pour terminer par les virus dont on ne connaît rien. Sous un hectare on trouve cinq tonnes de microbes, cinq tonnes de racines et une tonne et demi d’animaux.
Tiens les amibes… on en reparle dans les cours de récréation suite à l’introduction dans certains cours de sciences (donnés par les professeurs passionnés) des « blobs » qui ne sont autres que des amibes géantes que l’on suggère aux ados d’adopter. « En théorie il ne devrait pas y avoir de plante car l’azote et le phosphore sont bien plus efficacement collectés par certaines bactéries » annonce le chercheur. Mais grâce aux amibes, mangeuses de bactéries (par phagocytose), ces éléments sont restitués au sol lorsqu’elles libèrent les déchets de leur digestion des bactéries. « C’est un phénomène méconnu de beaucoup de pédologues ».
Un sol plein de vie
« Non les sols ne sont pas morts ! Je n’ai jamais vu de sol mort de ma vie ! » revendique le professeur. Par contre, dans les sols agricoles classiques, on observe une biomasse microbienne faible. En quantité ! « Plus un système est manipulé (NDLR : entendez par là, le travail du sol], moins on a de biomasse microbienne. L’agriculture n’a pas pour autant totalement bousillé les sols. La diversité génétique a diminué mais la plupart des espèces sont toujours là. Même si on est au début d’une extinction, tout est encore possible si on agit maintenant car les espèces sont présentes. »
Un sol fait de vie
Première étape pour assurer la vie : trouver une source d’énergie.
« Faire de l’énergie, c’est prendre de la matière disponible dans l’alimentation et la brûler à l’oxygène. Il en résulte des cendres (azote, phosphore, potassium …). L’urine c’est 6g d’N par litre. On se demande d’ailleurs pourquoi on la jette par les fenêtres plutôt que de la mettre dans les champs ».
Plaçons un morceau de roche dans un verre d’eau, au bout de six mois il ne se sera pas passé grand-chose. Plaçons ce morceau dans un verre rempli de jus de sol, sa surface sera altérée. Même les roches sont en devenir sous l’effet de la vie du sol. Ce devenir est de produire de la fertilité.
Le sol conduit les gaz : l’oxygène qui permet la respiration de la vie du sol, mais également un autre gaz qui va amener au sol un élément qui ne s’y trouverait pas car pas présent dans les roches : l’azote !
Les légumineuses et leurs bactéries Rhizobium transforment l’azote de l’air en acides aminés. C’est connu de tous. Ce qui l’est moins, c’est son coût : « ça coûte 30% de la photosynthèse de la plante pour fournir de la sève et du sucre aux Rhizobiums ». Des bactéries libres dans le sol, les Azotobacters, peuvent aussi tirer profit de l’azote de l’air, mais c’est moins efficace car elles ne sont pas liées à une plante et n’ont pas de sucre en retour.
« Ca fait 5000 ans que les agriculteurs manipulent ce phénomène en cultivant des plantes qui nourrissent les bactéries. »
Un sol animé par la vie
C’est seulement à ce moment de l’exposé que l’on commence à parler des animaux du sol.
A force de se déplacer, ce sont eux qui le mélangent. En outre de l’effet des déplacements, un autre effet s’ajoute dans le cas des vers de terre grâce à leur système digestif. Les vers de terre mangent les microbes du sol et rejettent la matière organique qu’ils ne digèrent pas ! Le ver de terre mange 20 fois son poids par jour. Tout le sol passe dans les vers de terre tous les 3 à 5 ans ! Dans ses crottes se forme un mariage étroit et très stable entre matière organique et argile : le célèbre complexe argilo-humique. En outre, le ver de terre réalise un travail contraire à la charrue : là où elle remonte les cailloux, lui remonte le sol au-dessus des cailloux qui s’enfoncent progressivement.
Zoom sur les racines
De son vivant la racine rejette dans le sol 10 à 40% de la photosynthèse puis elle meurt (elle ne devient pas plus grosse). Au total le système racinaire injecte en profondeur entre 1 et 5 fois autant que ce que les parties aériennes fournissent en tombant sur le sol. Les racines sont une machine à mettre du carbone en profondeur.
Le champignon qui fait les courses : les mycorhizes
Après nous avoir montré toutes ces belles petites choses utiles qu’on trouvait dans le sol, Marc-André Selosse s’attarde sur les mycorhizes. En deux mot, c’est un champignon qui s’associe avec les racines des plantes pour l’aider à se nourrir. Fait incroyable : il augmente de 10.000 la surface de contact de la racine avec le sol ! Et comme il réalise cela à un coût énergétique moindre d’un facteur 100 (vu son diamètre moindre), on peut carrément estimer l’optimisation à 1 000 000 !
80% des plantes s’associent avec ce champignon naturellement présent dans le sol. Les plantes cultivées aussi (sauf les crucifères comme la moutarde et le colza). Et comme les champignons sont capables de s’attaquer à la roche du sol, ils récupèrent toutes sortes de nutriments insoupçonnés.
Les mycorhizes ont également un effet phytosanitaire : elles aident la plante à vivre malgré la présence de pathogènes.
On a intérêt à jouer sur le fait que les mycorhizes des uns peuvent profiter aux autres. En semant des plantes, on peut entretenir d’autres bactéries et champignons bénéfiques du sol sans devoir viser directement ces microbes. Il suffit de les nourrir entre deux récoltes ou par un voisinage déjà établi pour en bénéficier pour ce que l’on va semer.
En conclusion, toute cette vie du sol crée des trous dans le sol, des trous dans lesquels circulent les gaz et l’eau qui permettent la vie. Des trous oui mais des trous durables, qui ne s’effacent pas quand on les piétine, des trous englués de matière organique, contrairement au trou produit par le labour qui ne dure pas.
Un sol hors de lui
Le sol a des fonctions hors de lui. Une importante est une fonction qu’il a sur le climat
Dans les sols sans oxygène, certaines bactéries parviennent à respirer. Elles respirent au CO2 en produisant du méthane ou au nitrate en produisant du protoxyde d’azote. Ces gaz sont bien plus impactant que le gaz carbonique (50 x et 240 x plus impactant). Quand on irrigue, on produit énormément de méthane et de protoxyde d’azote. Et si on y ajoute du nitrate on encourage la production de protoxyde d’azote.
Quand je laboure, j’aère le sol, j’amène beaucoup d’oxygène, les bactéries respirent davantage et font plus de CO2. L’homme a émis deux fois plus de CO2 par le labour depuis qu’il laboure que l’industrie depuis qu’elle utilise des combustibles fossiles !
L’Initiative du 4 pour 1000 que l’on doit à Stephane Le Foll (ancien ministre français de l’agriculture) est un calcul tout bête. Si chaque année, dans tous les sols du globe, on augmente de 0,4% ou de 4 pour 1000 la teneur en matière organique dans le sol, on compense, par le carbone immobilisé, la production de gaz à effet de serre de l’année.
« Evidement c’est un chiffre pour les idées. Je ne me vois pas augmenter de 0,4% la matière organique des sols de Patagonie. Cela montre juste qu’il y a quelque chose qui avec un petit geste peut avoir un grand effet. »
Cette fonction du sol pour le climat consiste à dire que notre matière organique, c’est sur les sols qu’il faut la remettre. C’est là qu’on voit que l’élevage peut avoir des rôles écologiques intéressants grâce aux fumiers. Et quel est l’animal qui produit le plus de fumier ? L’homme tiens ! Or nos excréments finissent à la station d’épuration et nos poubelles à la décharge.
« En tous cas, vous les agriculteurs, vous êtes, par vos sols, un des espoirs pour stocker du carbone. »
Un sol piétiné
Le sol est « piétiné » par le labour, par les pesticides, par les engrais et par l’artificialisation des sols.
« A priori aucun organisme vivant ne supporte le labour. C’est tellement insupportable que les plantes en meurent. C’est d’ailleurs l’intérêt du labour : désherber. Même des travaux de surface conduisent à un vrai holocauste vivant. Quand je vois une image de sol labouré, j’ai mal aux champignons. »
Si votre corps est fait d’un réseau microscopique que le labour détruit, les espèces de champignons qui ne parviennent pas à cicatriser disparaissent. En revanche, les bactéries (qui se situent dans les grumeaux du sol) subissent moins le labour. Elles en profitent même, puisqu’on enlève la concurrence des champignons.
Au final on a autant de diversité, en nombre d’espèces, mais ce qui nous intéresse surtout c’est la diversité des fonctions. Or les bactéries ne font pas le même travail que les champignons. On parle ici de diversité fonctionnelle.
Marc-André Selosse se fait l’avocat du diable en criant soudain : « oui mais quand même, ça fait 500 ans qu’on laboure ! ». Ce à quoi il s’empresse de répondre lui-même.
Rappelez-vous si vous avez pris vos vacances près des grandes cités grecques ou des grandes cités du moyen Orient : elles sont entourées de paysages caillouteux. Pensez-vous vraiment qu’on a mis ces villes ailleurs qu’au milieu de grandes plaine fertiles capables de les nourrir ? Là, vous avez 5000 ans de labour et là vous êtes arrivés à la roche. Il reste encore du sol, mais l’érosion n’a cessé de se développer depuis que l’homme est homme. Nos anciens n’ont pas fait une erreur à court terme. A court terme le labour désherbe, aère, rend poreux et remonte la fertilité. Mais à moyen et long terme, le labour perturbe la vie du sol, détruit la matière organique, provoque une érosion accrue.
Quant au glyphosate… « Quitte à agir, ce serait bien de s’en débarrasser. La viabilité des spores de champignons mycorhiziens est réduite en présence de glyphosate et il tue les cocons des vers de terre. Mais avec du glyphosate ça se passe quand même mieux qu’avec du labour. Et donc à mon sens l’ordre d’urgence de la sortie des gestes toxiques c’est arrêter le labour puis à terme arrêter le glyphosate avec si possible une solution alternative entre-temps. »
Quand une plante est en présence d’engrais minéraux, elle n’a plus besoin de payer les champignons pour faire les courses. Résultat : elle les congédie. En conséquence, il y a moins de champignons mycorhiziens dans les sols mais toujours autant de pathogènes. Finalement : la plante a besoin d’engrais et elle est plus sensible aux maladies !
Marc-André Selosse crée alors le lien de cause à effet suivant : les engrais appellent les pesticides. Il en déduit qu’il est temps de rompre ces dépendances, et qu’en l’occurrence, le fumier est notre espoir.
Conclusion
Marc-André Selosse conclut en ces mots. « Le sol est une formidable cathédrale du vivant, dont le fonctionnement assure de nombreuses fonctions dans la biosphère, y compris celle de nous nourrir. Aujourd’hui on peut revisiter certains de nos gestes à l’aune de notre connaissance de ce fonctionnement et déterminer que certains d’entre eux sont un peu, beaucoup, ou pas trop toxiques, et que d’autres façons de travailler sont des vecteurs d’espoir. »
Frédérique Hupin